Le désherbage : un enjeu clé sous pression en Bretagne

La Bretagne, avec ses 2,7 millions d’hectares cultivés et ses filières maraîchères et légumières de premier plan (source : Agreste Bretagne), est confrontée depuis plusieurs années à une tension croissante autour du désherbage. Entre réglementation toujours plus stricte sur l’usage des herbicides (Eau & Rivières de Bretagne rappelle que le glyphosate reste un sujet brûlant), pression sociale et montée des résistances, les solutions traditionnelles montrent leurs limites. Le désherbage manuel coûte cher. Le désherbage chimique, de son côté, est de plus en plus encadré et son avenir est incertain.

Dans ce contexte, nombreux sont les exploitants à la recherche d’une alternative viable pour leurs cultures : céréales, légumes de plein champ, pommes de terre ou cultures spécialisées comme l’oignon rosé ou les choux. L’automatisation par robot pourrait bien représenter une rupture technique majeure adaptée à la diversité des pratiques et des exploitations bretonnes.

Comment fonctionnent les robots de désherbage ? Un point technique éclairant

Les robots de désherbage sont des machines autonomes équipées, selon les modèles, de caméras, de capteurs et d’outils mécaniques capables de distinguer les adventices des plantes cultivées. Certains utilisent l’intelligence artificielle pour améliorer la reconnaissance des plantes – d’autres se basent sur la position GPS très précise (jusqu’à 2 cm d’erreur) pour localiser le rang.

Les principaux systèmes aujourd’hui sur le marché combinent :

  • Outils de binage mécanique adaptés et précis (lames, fraises, doigts Kress…)
  • Capteurs et caméras embarqués permettant le guidage sur le rang et la détection des adventices
  • Gestion autonome du déplacement grâce à l’IA et au GPS RTK
  • Parfois, traitements localisés (micro-applications, lasers ou jets de vapeur)

En Bretagne, des essais ont notamment porté sur le robot Oz de Naïo Technologies, le Dino pour les cultures en grande largeur, ou encore des prototypes comme le robot TED, testé sur vignes dans le Morbihan en lien avec la Chambre d’Agriculture (source : Arvalis, Chambre d’agriculture Bretagne).

Des retours terrains : premières observations en Bretagne

Quelques dizaines d’exploitations bretonnes ont déjà testé ces robots, surtout en maraîchage de plein champ (carottes, poireaux, salades, etc.) et, plus récemment, dans quelques vignobles et sur cultures semées en rangs assez larges. Si le recul est encore limité, certains points méritent d’être soulignés :

  • Précision du désherbage : Sur carottes, par exemple, l’Oz obtient un taux d'élimination des adventices de 75 à 90% selon la densité et les conditions du sol (source : Agri 35, essais 2023).
  • Robustesse face aux conditions réelles : En sols lourds et humides, certains robots montrent encore des limites (bourrage, perte de guidage).
  • Gain de temps humain : Là où une équipe de 4 personnes mettrait 8 heures pour désherber 1 ha, le robot descend le temps à 2 heures de supervision active, le reste en autonomie.

Les exploitants pilotes soulignent cependant la nécessité d’adapter leur façon de semer/planter pour tirer tout le potentiel du robot (largeur de rang, régularité, accès à la parcelle).

Les avantages des robots de désherbage en Bretagne

  • Réduction de l’usage d’herbicides : Selon l’Institut Technique de l’Agriculture Biologique (ITAB), le passage en tout-mécanique ou hybride avec robot permet de réduire la consommation d’herbicides de 60 à 90% sur des cultures adaptées.
  • Moins de pénibilité : Désherber manuellement est une tâche exigeante et peu valorisante. Automatiser cette partie du travail attire plus facilement des mains d’œuvre sur d’autres tâches, et prévient les troubles musculo-squelettiques.
  • Pas d’épandage de produits : Zéro résidu, pas de restrictions liées aux ZNT (Zones Non Traitées), et un respect accru de la réglementation actuelle et à venir.
  • Travail en horaires décalés : Le robot peut tourner la nuit ou tôt le matin, ce qui diminue la concurrence avec l’activité humaine et optimise le parc matériel.
  • Suivi fin des interventions : Les modèles récents enregistrent toutes les données de passage, ce qui facilite la gestion des interventions, la traçabilité et la justification vis-à-vis de la PAC ou d’éventuels contrôles qualité.

L’équation économique : robots de désherbage VS solutions traditionnelles

Le coût d’achat reste élevé : entre 30 000 € et 80 000 € selon les modèles (OZ, Dino, Vitirover...). Mais la réalité économique en Bretagne dépend de plusieurs facteurs :

  • Surface et type de cultures : Plus la surface et la répétition des parcelles en rangs larges sont grandes, plus le robot s’amortit rapidement.
  • Coût de la main d’œuvre : En Bretagne, le coût horaire chargé d’un salarié saisonnier se situe autour de 15 à 18 € de l’heure (source : MSA Bretagne). Sur 20 ha de légumes, la suppression de 70% du désherbage manuel peut représenter 10 000 à 20 000 € d’économie/an sur la masse salariale.
  • Économies de produits phytosanitaires : Sur une rotation pomme de terre/blé/légume, l’économie peut grimper à 200-400 € par hectare selon le contexte technique (chiffres Chambres d’Agriculture 2023).
  • Entretiens et réparations : On note un coût supplémentaire, de 1000 à 2000 €/an, lié à l’entretien high-tech du matériel robotisé (électronique, batteries).

Une exploitation maraîchère de 40 hectares rationalisant son organisation amortit souvent un premier robot en 5 à 7 ans sans subvention, deux fois plus vite si elle bénéficie d’une aide régionale ou d’un Plan de Relance (voir dispositifs Région Bretagne ou FEADER).

Les défis à relever : robotisation rime-t-elle avec universalité ?

Pas d’angélisme : tout n’est pas parfait. Les retours d’expérience pointent encore quelques limites techniques et économiques :

  • Adaptation aux parcelles morcelées : Typique breton. En polyculture-élevage, la diversité et la distribution des petites parcelles freinent l’efficacité globale.
  • Résistance sur adventices racinaires ou vivaces (liseron, rumex) plus difficilement gérables de façon entièrement mécanique.
  • Besoin de recalibrer les stratégies d’implantation (espacements, chou-fleur, oignon) pour faciliter le passage du robot.
  • Dépendance à la météo : Terrains lourds limoneux, excès d’eau, humidité prolongée… freinent la progression des robots légers dont les roues patinent ou s’envasent.
  • Coût de formation et de prise en main pour l’équipe (1 à 2 jours minimum sont nécessaires à chaque prise en main, selon Arvalis).

Il reste donc un effort à faire, tant sur la robustesse (modèles plus lourds, systèmes “tout-temps”) que sur l’adaptation des cultures et des assolements à la robotique. Mais le mouvement va vite : Naïo, Carré Robotics, EcoRobotix ou Vitirover multiplient les innovations, et chaque année voit progresser la fiabilité des robots en conditions bretonnes réelles.

Des freins psychologiques et pratiques… mais une acceptation qui évolue

Un point souvent sous-estimé : l’acceptation sur le terrain. Certains producteurs hésitent face à la technicité et au coût initial, redoutant la panne ou la dépendance à un SAV éloigné. Pourtant, l’apparition de CUMA robotiques (Agri 35, 2023) et le développement de prestataires-services permettent de franchir le pas à moindre coût individuel.

Autre levier fort : la transmission de l’expérience locale. Les échanges entre maraîchers, l’accès à des démonstrations (Tech & Bio, Innov’Action Bretagne) et les essais collectifs accélèrent la diffusion du savoir-faire et rassurent sur la valeur ajoutée concrète du robot.

Des perspectives concrètes pour la Bretagne agricole

L’avenir est déjà en mouvement : en 2023, la moitié des coopératives légumières bretonnes (source : Coop de France Ouest) intègrent des stratégies “zéro phyto” où le robot de désherbage est un outil clé pour le désherbage précoce et de précision.

  • Arrivée de robots plus gros capables de travailler sur plusieurs rangs et d’intervenir sur céréales à paille (essais 2024, Arvalis, sur blé sous couvert en Côtes-d’Armor).
  • Des modèles hybrides qui associent détection des adventices et traitement ultra-localisé avec micro-dosage, limitant à l’extrême la quantité d’intrants.
  • Des appuis financiers croissants, notamment dans le cadre des transitions agro-écologiques soutenues par la Région Bretagne.

Les robots de désherbage ne viendront jamais remplacer le “coup d’œil” ou l’expérience d’un·e responsable d’exploitation, mais ils prennent leur place dans la boîte à outils pour donner de l’air et permettre à chacun d’envisager un avenir agricole plus autonome, plus propre, et plus rentable. La Bretagne, terre de pionniers, s’affirme déjà comme un laboratoire de cette nouvelle agriculture de précision où l’humain reste au centre.

Sources utilisées

  • Chambres d’Agriculture Bretagne (innov’agri, synthèses démo 2023)
  • Arvalis – Institut du végétal (Essais robot désherbage, synthèse nationale 2022-2023)
  • ITAB (Institut Technique de l’Agriculture Biologique)
  • Agri 35 (reportages terrain robots Oz, 2023)
  • Eau & Rivières de Bretagne (Reglementation phytosanitaire)
  • Coop de France Ouest – données économiques et techniques filières légumières

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