Pourquoi la gestion de flotte devient un pilier de la performance agricole

La mécanisation fait partie de l’ADN de l’agriculture bretonne. Ici, le nombre d’heures moteur et la densité de machines par hectare sont parmi les plus élevés de France (données Agreste). On trouve régulièrement une dizaine de tracteurs, pulvérisateurs, voire moissonneuses, sur des exploitations laitières ou céréalières de taille moyenne. À cela s’ajoutent la forte proportion de travaux en cuma, le recours massif à la prestation, et une saisonnalité parfois très serrée.

Pour gérer cette flotte bien remplie, la plupart s’appuient encore sur leur expérience, leur mémoire… et beaucoup de coups de fil. Mais la complexité ne cesse de monter : prix des carburants, fiabilité des machines, allocation des équipements partagés, exigences de traçabilité (PAC, cahier d’épandage) et raréfaction de la main-d’œuvre qualifiée. Selon le CER France, le coût du poste “matériel” est passé de 19 à 27 % des charges dans certaines orientations bretonnes en 15 ans.

Depuis une décennie, les logiciels de gestion de flotte – ou “Fleet management” – gagnent donc du terrain dans les exploitations françaises, et particulièrement chez les entrepreneurs agricoles et les exploitations collectives. Mais aujourd’hui, même des fermes individuelles s’y intéressent pour garder la main sur leurs charges, réduire les pannes imprevues, et mieux piloter leur activité.

Gestion de flotte : de quoi parle-t-on ?

Un logiciel de gestion de flotte agricole recouvre plusieurs fonctions :

  • Gestion des interventions (tâches, calendrier, affectation des machines/personnes)
  • Suivi d’entretien, alertes sur les maintenances préventives
  • Gestion des consommations de carburant et lubrifiants
  • Traçabilité et historique machine (travail effectué, réglages, localisation…)
  • Gestion des coûts (amortissements, réparations, suivi des factures)
  • Outils d’aide à la décision (analyse des pannes, planning optimal, taux d’utilisation…)

Certains systèmes se couplent aussi à des outils de télémétrie embarquée ou à des applications mobiles, pour remonter en temps réel les données des machines. D’autres restent centrés sur la planification, la gestion administrative et le pilotage. Le choix dépend autant des besoins de l’exploitation que de l’appétence numérique de l’équipe.

Zoom : où en est la Bretagne agricole sur l’adoption de ces outils ?

L’Ouest agricole n’est pas en retard, mais les usages varient. Selon un sondage de la Chambre d’agriculture de Bretagne sur plus de 600 exploitants (2023), 17 % déclarent utiliser un logiciel de gestion de flotte (hors simples applications constructeurs). Le chiffre grimpe à près de 40 % chez les grandes exploitations (>120 ha) ou en cuma structurées. Le recours reste marginal chez les petites structures familiales.

  • Les cuma bretonnes (1 225 regroupements actifs) figurent parmi les premières utilisatrices de solutions partagées – type JLB, Isagri, Praxedo, Smag ou encore Agreo.
  • De grands entrepreneurs agricoles du 29 ou du 56 ont équipé tous leurs chauffeurs de tablettes et généralisé la télémétrie, pour fiabiliser la gestion du planning et anticiper les entretiens.
  • Côté polyculture-élevage, la gestion de flotte reste moins intégrée mais on observe une vraie montée en puissance pour le suivi carburant et le respect des journaux de maintenance, compte tenu de l’évolution des obligations réglementaires.

Les freins ? Beaucoup évoquent le coût (de 300 à 2 500 € par an selon la solution), le temps d’appropriation, et la peur de la complexité. Mais les attentes ne cessent d’augmenter au niveau de la rentabilité et de la disponibilité machine, surtout avec la hausse du prix du gasoil (environ +24 % entre 2019 et 2023 source CEEB).

Quels bénéfices concrets pour les exploitations bretonnes ?

  • Réduction avérée du coût matériel : D’après le réseau cuma Ouest, l’usage d’une solution de gestion de flotte permet de réduire de 8 à 15 % les réparations imprévues via un meilleur suivi des entretiens.
  • Amélioration de l’organisation du travail : Un logiciel adapté permet de visualiser la disponibilité des machines, d’éviter les “doubles emplois”, de prévenir les oublis d’entretien ou de carburant – des gains précieux lors des gros pics de travaux comme ensilage ou moisson.
  • Traçabilité et conformité réglementaire : Avec l’évolution de la PAC ou la certification HVE, la documentation stricte des interventions sur les machines devient un passage obligé. Un logiciel simple évite de perdre des papiers ou des notes éparses.
  • Montée en compétence de l’équipe : Outils de checklist avant départ, formation à la maintenance, pilotage délégué… L’informatique de flotte responsabilise et sécurise l’équipe, même avec du personnel occasionnel.
  • Analyse du parc et des coûts au réel : De nombreux utilisateurs bretons relèvent que les décisions d’investissement (renouvellement, location, achat d’occasion) deviennent bien plus rationnelles, chiffres à l’appui.
  • Suivi du carburant et de l’impact environnemental : Face à la pousse de la fiscalité verte, monitorer la consommation de GNR, rationaliser les déplacements et relever les temps d’arrêts inutiles devient stratégique pour la rentabilité… et l’image des filières.

C’est en tout cas le retour d’élus cuma comme le groupe Kersava, dans le Finistère, qui a divisé par deux ses pannes “oubli vidange” depuis l’instauration d’un logiciel partagé il y a trois ans (source : FRCuma Bretagne).

Critères clés pour choisir un logiciel de gestion de flotte adapté

  • Simplicité d’appropriation : Inutile de miser sur une solution ultra pointue si l’équipe n’est pas à l’aise avec l’outil numérique. Mieux vaut une application sobre, traduite, claire, compatible smartphone/tablette.
  • Interopérabilité : L’idéal ? Un logiciel capable de dialoguer avec plusieurs marques de machines, de synchroniser les données existantes (GPS parcelle, cahier d’épandage numérique…) et de s’intégrer aux outils du comptable ou du gestionnaire de cuma.
  • Personnalisation : Certaines exploitations cherchent surtout à mieux organiser le planning, d’autres veulent du reporting détaillé sur les pannes et les charges. Attention à choisir un logiciel qui ne surcharge pas d’options inutiles.
  • Support et formation : Le point faible de nombreuses solutions généralistes. Valider la réactivité du service technique et la capacité à former plusieurs membres de l’équipe (le chef d’exploitation, mais aussi salariés et saisonniers).
  • Confidentialité et souveraineté des données : Avant d’opter pour un outil connecté : où sont stockées les données ? Peut-on récupérer toutes les informations en cas de sortie du contrat ? Ce point devient crucial pour la sécurité et la valorisation des données d’exploitation.

Le coût doit être mis en regard des économies réelles de temps et d’argent, et du partage social au sein de la cuma ou de l’exploitation. Pour les plus petits, une application de gestion d’entretien à 300 €/an peut suffire pour amorcer la démarche.

Exemples d’usages en conditions bretonnes

  • Une cuma du Morbihan (90 adhérents) : en installant un logiciel d’organisation de planning machines et de suivi des entretiens, les retards d’entretien ont été divisés par trois, les taux d’immobilisation sont passés de 9 à 3 %.
  • Exploitation laitière familiale à proximité de Vitré : l’utilisation d’une application simple pour enregistrer les heures moteur et interventions a permis de démontrer que le tracteur le plus ancien coûtait 20 % plus cher à l’usage : il a été revendu au profit d’une location.
  • Entreprise de travaux agricoles dans les Côtes-d’Armor : la tablette embarquée chez chaque chauffeur permet le suivi en temps réel de la localisation du matériel. Résultat : réduction de 12 % du gasoil consommé lors de la première saison d’utilisation, optimisant les trajets et limitant les temps d’attente sur chantier.

Ces situations concrètes illustrent aussi la nécessité d’un accompagnement terrain lors de la mise en place : le meilleur logiciel reste inutile s’il n’est pas adopté collectivement, avec des procédures claires.

Évolutions à suivre : demain, quelle place pour l’IA et la télémétrie ?

Les constructeurs accélèrent sur la télémétrie : quasiment toutes les grandes marques de tracteurs commercialisées en Bretagne (John Deere, CNH, Fendt, Valtra…) intègrent des modules connectés de série ou en option sur leur flotte récente. Les plateformes comme MyJohnDeere, FendtONE ou Case IH AFS Connect sont présentes sur plus de 25 % des exploitations bretonnes équipées d’un tracteur postérieur à 2020.

Demain, la gestion de flotte ne se limitera plus au pilotage matériel. Des solutions d’analyse prédictive (algorithmes apprenant à prédire les pannes selon l’usure réelle, par exemple) commencent à émerger dans la viticulture et les cuma du Sud-Ouest (source : Vitisphère). Les couplages entre logiciel, télémétrie et outils d’aide à la décision vont s’intensifier pour répondre à deux impératifs clairs : faire toujours plus avec moins, et garantir la transparence de l’outil au service du collectif.

La Bretagne, terre d’innovation mais aussi de gestion collective affirmée, a tous les atouts pour tirer parti de ces évolutions, à condition de garder un œil critique : ne jamais perdre la maîtrise de ses machines et de ses données, même à l’ère numérique.

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