Comprendre les enjeux énergétiques du secteur agricole breton

En Bretagne, l’agriculture consomme près de 12 % de l’énergie régionale (source : Observatoire de l’énergie Bretagne). Élevage, grandes cultures, légumes de plein champ, maraîchage sous serre… Chaque filière a ses postes de dépenses énergétiques : carburant diesel pour les tracteurs, électricité pour les systèmes d’irrigation, ventilation ou traite. Depuis dix ans, la hausse des prix du carburant a mécaniquement dopé les charges. Entre 2010 et 2023, le coût moyen du GNR (gazole non routier) a doublé (source : FranceAgriMer).

Les marges se réduisent, la PAC pousse à la sobriété, et la performance énergétique devient un axe fort d’innovation. Mais entre la communication des constructeurs et la réalité des économies au champ, il y a parfois un fossé. D’où l’importance d’identifier et de comparer les bons critères techniques.

Identifier les critères essentiels pour évaluer un équipement agricole économe en énergie

Difficile de se fier aux seules fiches commerciales. Pour sélectionner le matériel le plus pertinent, plusieurs critères doivent être analysés :

  • Consommation réelle au travail (et pas seulement la consommation nominale au banc d’essai)
  • Efficacité de transmission de la puissance : rendement de la boîte de vitesses, pertes hydrauliques, rendement de la transmission directe, etc.
  • Adaptation au parcellaire et au type de culture
  • Polyvalence et compatibilité avec d’autres outils
  • Simplicité et accessibilité de la maintenance
  • Systèmes d’automatisation, de gestion intelligente de l’énergie
  • Durabilité de l’appareil et disponibilité des pièces

Côté tracteurs, l’écart à la pompe entre un tracteur "classique" des années 2000 et une génération Stage V bien paramétrée peut atteindre 20 à 30 % d’économie sur les travaux standards (Terre-net). Sur les outils, un semoir monograine bien réglé fait économiser du carburant ET des intrants, tout en augmentant le rendement.

Choisir la bonne taille et la juste motorisation

En Bretagne, beaucoup d’exploitations multi-activités hésitent entre rester sur des tracteurs "taillés large" pour tout faire, ou investir dans des matériels spécialisés plus compacts et très performants. Le surdimensionnement d’un engin, c’est augmenter mécaniquement sa consommation. Une étude du CETIM (Centre technique des industries mécaniques) rappelle qu’un tracteur trop puissant de 30 % par rapport aux besoins réels voit sa consommation grimper de 10 à 15 % lors des petits travaux.

A l’inverse, un matériel trop "juste" pourra manquer de couple : le moteur poussera à fond, consommera logiquement trop, et s’usera prématurément. Tout est question d’équilibre, sur la base des travaux réellement effectués :

  • Puissance utile (prise de force et traction) adaptée au nombre d’heures annuelles et à la nature des parcelles
  • Possibilité de réguler la puissance instantanée en fonction des besoins (mode "Eco", gestion intelligente de la charge…)
  • Comparaison de la consommation par hectare ou par tonne, pas seulement par heure

Un bon distributeur ou un technicien pourra faire un diagnostic précis, notamment via des essais dynamiques champ/parcelle (beaucoup plus révélateurs que les chiffres constructeurs !).

Focus sur l’innovation : automatisation et systèmes intelligents

Les technologies embarquées sont de plus en plus déterminantes pour l’économie d’énergie :

  • Systèmes de gestion intelligente du régime moteur (Eco Mode, gestion automatique du rapport moteur/boîte) permettent jusqu’à 18 % d’économie de carburant sur des travaux de transport (source : AXEMA, Syndicat des industriels du machinisme agricole).
  • Pilotage GPS autoguidé et coupure automatique de section : sur les semoirs, pulvérisateurs ou bineuses, le guidage RTK réduirait de 8 à 12 % le temps et l’énergie consommée à l’hectare, via la limitation des recouvrements (source : Chambre d’agriculture Bretagne).
  • Pression des pneus ajustable automatiquement : Les réseaux d’essai des CUMA du Grand Ouest montrent qu’un tracteur équipé d’un télégonflage économise en moyenne jusqu'à 10 % de carburant dans les terres humides, tout en préservant la structure du sol.

Sur certains élevages de la région, la mise en place de robots de traite ou d’alimentation à basse consommation a permis de réduire la facture énergétique de 12 à 20 % sur la seule traite, tout en dégageant du temps de travail. Les serres maraîchères passent à la pompe à chaleur, ou à l’éclairage LED piloté, avec des gains de 30 % d’électricité par rapport aux équipements anciens (ITAVI).

Sélectionner les équipements selon le contexte parcellaire breton

Le morcellement des exploitations et la diversité des microclimats bretons imposent des choix spécifiques :

  • Opter pour des engins à faible tassement et à compacité accrue pour les petits accès (par exemple tracteurs plus légers avec outils repliables)
  • Privilégier des équipements à transmission variable (CVT), particulièrement adaptés aux dénivelés ou aux successions d’opérations (exemple : semis après labour, déchaumage, binage…)
  • Miser sur la polyvalence : un même porte-outil optimisé pour la traction, la pulvérisation, l’épandage, etc.

Le gain ne se fait pas seulement sur le poste "carburant" : choisir l’outil le mieux adapté au sol (pneumatique basse pression, largeur de travail revue à la hausse, etc.) réduit les passages, diminue la compaction, améliore les rendements, et donc la performance énergique globale.

Comparer sur la durée : coût global d’utilisation

La consommation à l’heure affichée ne suffit pas à juger. Le vrai critère : le coût global sur la durée de vie, ou TCO (Total Cost of Ownership). Cela inclut :

  • Le prix d’achat ou de location
  • L’entretien programmé et les pannes
  • La consommation (carburant ou électricité) en conditions réelles
  • La valeur de revente
  • La formation à l’optimisation de la conduite (jusqu’à 10 % d’économie observée sur certains groupes CUMA suite à la formation éco-conduite – source : CUMA.fr)

D’après le RICA (Réseau d’Information Comptable Agricole), un tracteur âgé de 12 ans consomme en moyenne 17 % de plus qu’une machine neuve à performances égales, du fait de l’encrassement moteur, de l’usure des transmissions et de la perte d’efficacité générale.

Les pièges à éviter lors du choix d’équipements “économes”

  • Ne jamais se fier uniquement à la norme d’homologation : Les consommations affichées sont souvent mesurées dans des conditions optimales, pas sur les terres acides, humides ou vallonnées bretonnes.
  • Négliger l’entretien : Un matériel performant mal entretenu dérive vite en termes de coût énergétique. Un filtre à air sale sur une ensileuse peut augmenter la conso de 7 à 12 %.
  • Oublier la compatibilité tracteur-outil : Un semoir “dernier cri” attelé à un tracteur daté annulera une bonne partie des progrès affichés.

Retours d’expérience bretons : où l’économie d’énergie fait la différence ?

Sur le terrain, plusieurs types d’exploitations bretonnes témoignent de concrètes économies :

  • CUMA du Morbihan : passage au panachage de tracteurs inférieurs à 130 ch, bien équipés en guidage, au lieu des “gros cubes” généralistes. 23 % de baisse de consommation relevée sur la saison betteraves fourragères (2022).
  • Exploitation laitière en Ille-et-Vilaine : volet automatique de régulation de la ventilation dans la stabulation des veaux, -14 % de conso électrique, gain de croissance des animaux en prime.
  • Maraîchage de la baie de Saint-Brieuc : accélérateur de transition vers des chariots électriques et pompes à chaleur dans les serres à tomates : économies en continu, entretien réduit de moitié.

L’impact est tangible, d’autant plus que certaines aides régionales cofinancent désormais ces investissements (à voir auprès du réseau des Chambres d’agriculture de Bretagne).

Boussole pour un investissement gagnant en Bretagne

Pour exploiter vraiment chaque euro investi dans les nouveaux matériels, trois principes s’imposent :

  1. Tester, mesurer, discuter avec ses voisins ou une CUMA locale avant de s’engager
  2. Penser “système d’exploitation” et pas seulement “machine”, en croisant levier agronomique et technologique
  3. Associer à chaque nouvel équipement la formation du conducteur et un plan précis d’entretien

L’économie d’énergie, c’est d’abord du bon sens technique, ajusté à la diversité des fermes bretonnes : ni suréquipement, ni gadget, mais un matériel vraiment maîtrisé, qui donne toute sa valeur dans le contexte réel des parcelles, des saisons et des équipes.

Pour aller plus loin et comparer entre pairs, les réseaux des Chambres d’agriculture bretonnes, les groupes CUMA et les fermes expérimentales organisent régulièrement des journées d’essais et des bancs de mesures : garder l’œil sur leurs agendas peut offrir des opportunités précieuses pour affiner ses choix.

En savoir plus à ce sujet :