Le contexte breton : une viticulture en mutation face à de nouveaux défis

Depuis dix ans, la viticulture bretonne sort de la confidentialité. Sur les cinq départements historiques, plus de 200 ha de vignes ont été plantés, principalement pour du vin tranquille, du mousseux, ou en cépage rustique (source : Agreste Bretagne, 2023). Une dynamique soutenue par la transition agroécologique, la recherche constante de résilience face au climat et l’émergence de filières locales.

Dans ce contexte, le choix du pulvérisateur – outil central pour maîtriser le mildiou, l’oïdium ou la flavescence dorée – est stratégique. Depuis 2018, les pulvérisateurs dits “connectés” envahissent les catalogues : GPS, modulation de dose, traçabilité automatisée, gestion à distance des paramètres, capteurs intelligents pour cibler la pulvérisation… Mais, face au surcoût à l’achat (40 à 120 % supérieur à un modèle conventionnel), la question reste entière : un tel investissement répond-il vraiment aux enjeux de la vigne bretonne ?

Qu’est-ce qu’un pulvérisateur connecté ? Petit rappel technique

Sous ce terme, on regroupe des outils embarquant :

  • Un système informatique embarqué pour piloter l’appareil et collecter des données
  • Des capteurs (pression, débit, température, hygrométrie, vitesse d’avancement, parfois analyseur de végétation ou caméras)
  • Une connectivité (4G, Bluetooth, ou WiFi local) pour récupérer les données et transmettre des consignes en temps réel
  • Des buses ou jets à commande indépendante permettant le pilotage du volume et de la répartition à la parcelle, au rang, voire au cep
  • Le couplage possible avec une application métier ou une plateforme web de supervision

On trouve plusieurs niveaux de sophistication et de prix, des modèles “semi-connectés” (simple enregistrement des volumes utilisés et GPS) jusqu’aux robots capables d’automatiser chaque passage.

Les promesses sur le papier : gain de précision, économie et environnement

Le marché met en avant plusieurs avantages. Voici les points clés, vérifiés sur des études terrain :

  • Adaptation en temps réel : modulation des doses selon la vigueur du végétal, la vitesse de vent ou l’hygrométrie. Certaines études (IFV Sud-Ouest, 2022) montrent jusqu’à 25 % de réduction des intrants sans perte d’efficacité
  • Traçabilité automatique : enregistrement sécurisé des dates, doses, conditions climatiques. Un atout pour la certification HVE ou bio, ou en cas de contrôle
  • Moins d’erreurs humaines : recettes et procédures téléchargées directement, alertes sur la pression, la dérive ou la vitesse : moins de ratés, moins de gaspillage
  • Valorisation de la main d’œuvre : les outils connectés permettent parfois à des profils moins expérimentés de prendre la main sur la pulvérisation grâce à un pilotage guidé, des modes « assistant »
  • Suivi économique : équipements capables d’établir un vrai bilan poste par poste, avec un suivi de la consommation réelle, du coût à la parcelle, et des temps passés

L’argumentaire est solide, mais le diable se niche dans la réalité terrain bretonne.

Retour des premiers utilisateurs bretons : des résultats contrastés

En Bretagne, la majorité des surfaces viticoles reste en-dessous de 10 ha, avec une poignée d’exploitations en polyculture-élevage. Sur le terrain, plusieurs retours d’expérience, notamment en Ille-et-Vilaine (Côtes de Bretagne), invitent à nuancer :

  • Gain d’intrants : chez les pionniers ayant adopté la régulation automatisée, la baisse de doses affichée est réelle (15 % à 30 % dès la première année – source : Chambre d’Agriculture 35, 2023) mais nécessite une phase d’apprentissage.
  • Limites d’usage dans les parcelles morcelées : pour des vignobles en AOP, souvent sur pentes ou petites parcelles, les coupures de tronçons automatiques et la cartographie n’apportent pas toujours le retour sur investissement espéré (temps de calage, gestion GPS capricieuse sous couverts…)
  • Maintenance et SAV : le matériel embarquant plus d’électronique exige une disponibilité des interlocuteurs SAV : certains exploitants déplorent des arrêts prolongés en pleine campagne lors de panne du module de gestion ou d’incompatibilité avec le tracteur. Les fabricants tardent parfois à se déployer dans l’ouest (source : Réseau Agronomie Bretagne 2022)
  • Utilisabilité : sur modèles évolués, la prise en main peut rebuter une équipe de saisonniers ou un exploitant seul, faute de temps pour maîtriser la multitude de réglages disponibles

La taille d’exploitation, la typologie des parcelles et l’aptitude à se former jouent un rôle clé dans la réussite de l’investissement.

Le surcoût : amortissable ou frein durable ?

Côté budget, les pulvérisateurs connectés se paient au prix fort :

  • Un modèle tracté classique débute à 10 000–15 000 € ; un équivalent « connecté » bien équipé atteint 25 000 à 35 000 € pour un débit de chantier de 3–8 ha/h
  • Pour un automoteur doté de capteurs avancés (analyse NDVI, pilotage de buse à la rangée) le ticket dépasse 60 000 € – un budget stratosphérique pour une superficie inférieure à 8-10 ha

La promesse d’économies ne doit pas faire oublier :

  • La maintenance souvent plus coûteuse (pièces électroniques, licences logicielles, vérifications annuelles de capteurs, etc.)
  • Les mises à jour logicielles parfois payantes ou sources d’incompatibilité à moyen terme
  • Le besoin de disposer d’un réseau mobile fiable pour les modèles « cloud »

Dans certains cas, les économies réalisées sur les produits phytosanitaires et la main-d’œuvre peuvent couvrir le surcoût en 4 à 7 ans (Inrae, 2022 : comparaison sur vignoble de l’Anjou), mais pour être vrai en Bretagne sur des surfaces modestes, cela nécessite un plan de financement adossé à une stratégie globale (mutualisation du matériel, Cuma, prestation, achat reconditionné).

Témoignages d’utilisateurs et chiffres terrain

Quelques exploitants bretons ayant franchi le cap rapportent :

  • « On divise par deux le nombre d’erreurs de réglage. Plus simple de prouver ce qui a été fait en cas de contrôle PAC ». (Propriétaire-récoltant, Morbihan)
  • « Avec la météo capricieuse et les surfaces dispersées, ce sont surtout les alertes dérive et les historiques de passage qui apportent du confort ». (Responsable technique, Finistère)
Paramètre Avant (standard) Après (connecté)
Taux de surdosage/erreur 3-4 % des volumes/an 0,9-1,2 %
Délai de préparation passage 30 min 12-20 min
Temps tracas admin. traçabilité 3h/mois <1h/mois

Source : enquête terrain ETR, synthèse IFV Bretagne (2023) — Panel 7 domaines installés 2019-2022, 5–18 ha.

Quels critères pour décider : des clés concrètes pour la viticulture bretonne

Voici les questions à se poser pour arbitrer lucidement l’achat ou non :

  • Superficie effectivement mécanisable ? En-dessous de 7–8 ha ou avec parcelles très morcelées, le ROI s’étiole.
  • Statut, perspectives de montée en gamme (bio, HVE, circuits courts) ? La traçabilité native via le numérique bénéficie à la valeur ajoutée et la valorisation commerciale.
  • Possibilité de mutualiser l’investissement ? Cuma, achat groupé ou prestation de service optimisent le parc matériel et amortissent plus vite.
  • Dynamique de formation ? Un outil performant se rentabilise s’il est exploité à 80–90 % de ses capacités, ce qui suppose un minimum d’intérêt pour le numérique.
  • Niveau d’accompagnement local, réseau de SAV ? Se renseigner sur la réactivité des concessionnaires en Bretagne, et la localisation des techniciens.

Penser « modulable » : certains fabricants proposent des kits d’équipement connectés à adapter sur du matériel existant pour contenir l’investissement (exemple : PulvéRight, Kuhn RailSpray Connect).

Tour d’horizon des modèles et solutions en 2024

Le marché français propose désormais plus de 30 références de pulvérisateurs viti connectés (source : filière Vinitech, 2023), dont certains spécifiquement adaptés au parcellaire morcelé.

  • Kuhn, Berthoud, Tecnoma : large gamme de modèles pilotés GPS, avec option de coupure de tronçons, dosage automatique, intégration avec outils de gestion de traçabilité (Agreo, Smag).
  • Fede Smartomizer : capteurs LiDAR pour modulation intra-parcellaire (présente aux essais IFV 2022 en Bretagne sud).
  • Pulvématic/Grégoire Besson : solutions mixtes, kits à installer sur parc existant.
  • Ecorobotix : robot de pulvérisation autonome, efficace mais aujourd’hui réservé aux démonstrations et exploitations pionnières (coût d’acquisition élevé, flotte en cours de test chez Cuma GAB Bretagne).

Certaines solutions sont éligibles à des subventions FranceAgriMer ou à des programmes Breizhou Transition numérique agricole (vérifier l’éligibilité avant tout achat).

Vers une pulvérisation plus responsable et sur-mesure, oui… mais avec pragmatisme

Face à la révolution annoncée de la viticulture connectée, chaque projet doit s’appuyer sur le bon sens et le retour d’expérience de proximité. Le pulvérisateur connecté n’est pas une baguette magique : il optimise là où la gestion manuelle atteint ses limites, mais son intérêt varie beaucoup selon l’échelle et l’organisation du vignoble.

En Bretagne, où l’on trouve plus de diversité que de grandes surfaces homogènes, les modèles hybrides (connectivité progressive, kits d’adaptation sur l’existant et mutualisation) semblent les plus pertinents. Investir n’est judicieux qui si l’accompagnement et la formation suivent, et s’il y a une réelle stratégie de valeur ajoutée derrière la traçabilité apportée.

Rester informé des évolutions (tests IFV, retours Cuma locales, essais pilotes) permet d’éviter d’être prisonnier d’une technologie trop vite obsolète. S’orienter vers des équipements évolutifs et ouverts s’avèrera souvent un meilleur pari sur la durée que l’achat du modèle le plus sophistiqué du moment.

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